Résonnance libre à partir d’un manuscrit.
« J’ouvre la porte avec ma bouche » …….
(Toutes les citations entre guillemets ainsi que le titre de l’article sont des extraits du manuscrit de Dominique, avec son accord)
«Les limites visibles ou cachées peuvent favoriser l’écoute et le dialogue. La contemplation dans le silence est nourriture pour aller vers l’autre. A travers elle, le handicap peut servir de levier. »
Dominique a fait irruption dans mon espace psychique sans crier gare, avec son fauteuil roulant électrique mis sur grande vitesse…!
Elle s’y est installée, mine de rien, le sourire aux lèvres avec une formidable expérience à me faire partager.
Moi qui navigue à vue avec les idées de confiance, d’autonomie, de liberté, de résistance et de créativité, moi qui décline ces mots avec délice les laissant résonner dans les subtilités du cœur, voilà que Domi me parle d’elle …. Et de son chemin avec eux…
Domi est tétraplégique, privée d’air à la naissance un quart d’heure de trop. Son corps garde trace de la difficulté du chemin vers la sortie. Le corps est tordu, l’âme pousse la vie avec droiture à l’intérieur.
Dominique est habitée, habitée par une force profonde qui, dès l’adolescence, décide pour elle, au delà des limites de son corps. Son chariot devient ailé, ses rêves la guident, les vagues du profond la soulèvent et elle laisse faire…
Elle refuse les institutions mais accepte avant le refus de les expérimenter.
Elle rêve de voyage et de peinture.
Elle décide qu’il y a un sens à tout ça et qu’il s’agit de son chemin de femme à accomplir…
« Fleuris là où on t’a posé » dit elle souvent avec un sourire éclatant.
Mais avant d’être parvenue à ce niveau d’intégration de l’expérience le chemin fut long. Et je découvre à son contact le monde de la très grande dépendance
« Je tangue entre la réalité et le rêve ; je veux inventer ma vie mais mon corps est dans une coquille trop petite. J’ai beau bougé dans tous les sens, je suis « emprisonnée » Alors j’attrape au hasard de mes rencontres des bras, des jambes valides pour me poser sur la montagne et descendre sous la .terre… »
Domi me bouscule, me secoue, m’embarque dans des contrées ignorées.
Comme si.
Je ressens par vagues successives mon corps paralysé, tordu, les mots qui ont tant de mal à sortir de ma bouche.
Si personne ne vient me lever, je reste là.
Si je n’apprends pas à me confier, alors la toilette, les portages du lit au fauteuil, du fauteuil à la voiture deviennent un enfer.
Si personne ne vient me nourrir.
Si personne ne prend le temps d’essayer de me comprendre, alors, je ne tente plus de parler.
Il n’est pas question de pitié, de résonnances émotionnelles. Ce qui se joue est initiatique. Je visite à mon corps défendant les lieux de l’impuissance absolue…
Je m’y maintiens en apnée pendant que Domi ponctue les efforts nécessaires à la parole par de grandes respirations et un sourire éclatant.
Et puis, elle me laisse échouée sur un rivage étranger.
J’imagine Robinson se réveillant sur la plage…
Groggie… le corps malmené et bousculé par la force des mers, je me redresse.
Autour de moi, devant moi, Rien…
Le bout du monde, le lieu où il n’y a pas à chercher d’issue, où le combat contre n’est pas de mise.
Le lieu où s’asseoir.
Il est dedans, je le sais au fond du ventre, là où les flux du vivant viennent chercher leur source.
Au cœur du rivage de l’impuissance surgit une île, rocher protégé des vents. Rocher aux lentes respirations de nouveau né.
« S’ingénier à ne pas renoncer. Apprendre empiriquement est un chemin de patience. Garder une part de rêve sur les yeux clos de l’enfant ; se laisser porter par le temps, soulever par la vague… Inventer ses premiers pas, à roulettes»
Domi continue à raconter. Quand elle est trop fatiguée par l’effort physique nécessaire pour sortir un à un des mots, que je fais , en plus , souvent répéter, elle écrit sur son clavier pour que je puisse lire.. Etonnant la façon dont son corps se penche, pour accrocher les touches et les bonnes lettres avec une partie du poignet. Tout son manuscrit a été écrit ainsi dans la lenteur de ce corps qui se plie, lettre après lettre.
Je participe à la lenteur. Elle écrit, j’attends.
L’attente m’entraine de nouveau… sur le rivage, vers le rocher.
Mon corps se colle à lui. Désir essentiel de capter les rythmes profonds de la pierre.
Là est l’issue sur l’île de l’impuissance.
Capter les rythmes de la pierre.
Les laisser dire bonjour aux cellules qui, elles, patientent depuis si longtemps
Le corps abrite au cœur du vide qui le centre un lieu qui attend la respiration des pierres…
« Sur le chemin rempli de sentiers sans issues, les points d’interrogations se croisent avec les réponses. Une certitude, chaque pas est une étape. »
Et c’est ainsi que nous cheminons côte à côte Domi et moi. Par étapes, rencontre après rencontre, nous corrigeons son manuscrit qui trainait dans un tiroir depuis longtemps.
Notre idée, le publier en y adjoignant ses aquarelles.
Car Domi peint… Elle peint ses rêves depuis son fauteuil. Elle peint à partir de photos de ses voyages.
Elle peint, le pinceau attaché à son bras, dans la liberté des couleurs.
Je chemine à ses côtés, côtoyant de mieux en mieux les rivages de l’impuissance, collée à mon rocher.
Et nous partageons de grands éclats de rire quand elle me raconte ses parties de rock au bal du village…
« Je suis toupie, mon fauteuil a décollé ; je tourbillonne, je quitte le sol, les lumières se confondent et deviennent arc en ciel. Mes roues se balancent de l’une à l’autre La danse me suit ! Je crie de joie, de peur. J’ai le sentiment de participer au mouvement de la vie. »
En ce moment, Domi me questionne beaucoup sur le monde des valides : Elle me demande mon expérience.
« Dis moi, comment c’est d’avoir deux jambes, comment sais tu que tu marches ? »
C’est vraiment une bonne question !! !
« J’ai sans doute apprivoiser ma joie pour débroussailler devant ma vie » Dominique D
Au cœur des flocons du Morvan
Chantal avec des extraits du manuscrit de Domi D
Février 2013